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Notre rêve commande d’abattre les murs, de ne jamais les remplacer par des frontières nouvelles, d’étendre les horizons jusqu’à ce que l’œil se perde loin de nos mondes. Et au cœur de cette tâche sorcière qui augure les cycles à venir de nos communications, l’outil des renaissances ne peut être autre que le lien qui nous rive à notre présent : la littérature ou cette cloison de nos échanges humains. Littérature, *littera*, la lettre de l’alphabet, nous remontons le sens de ce terme vaporeux à l’arrogance un peu artiste pour n’en garder que son acception étymologique, celle de la granularité langagière, la composante graphique, la *lettre* qui s’amasse en des chaînes structurales dans le but de saisir le réel. À travers les âges, l’humain s’est risqué à l’évolution le long de ses constructions littéraires. Il a fait œuvre de transcrire par des mots les phénomènes qu’il se représentait, mais s’est fait prisonnier de ses propres représentations. L’humain, le moderne s’est isolé derrière une invisible limite, le nommable. C’est dans cette faille que le marteau numérique doit frapper, en désignant *l’innommable*, en *excavant* l’information brute qui se terre sous le langage. La littérature doit se débarrasser de ses contraintes, et quel meilleur moyen d’entamer cet affranchissement que celui de détruire le livre. Cette destruction n’est pas à comprendre comme un autodafé, un *acte de foi*, mais précisément comme l’anéantissement de la foi, celle en le langage. Se révèle ainsi ce qui s’y dissimule, les ombres de l’information, l’immatériel brut, le *chiffre*. Le livre en lui-même porte une histoire de la barrière. Son sens s’est construit à partir de l’écorce des arbres, le *liber*, cette peau végétale où s’inscrivirent les premiers textes humains. Millénaires durant la transcription de notre réel s’est contentée d’une surface bidimensionnelle, y a enfermé le texte, mais aujourd’hui nous nous devons d’abattre nos idoles de papier, d’observer au-delà de leur crépuscule. Il nous faut creuser la terre, dans le respect des humains et de notre environnement, construire des matériaux électroniques nouveaux qui accéléreront encore davantage notre langage, et nous emporteront dans ce grand œuvre de notre époque : la multiplication des dimensions en vue de la destruction des apparences. Que faire ? Chercher à détisser le texte, à abolir le principe même de surface qui recueillerait nos graphies. La graphie est déjà en soi une surface, celle de l’information, qui peut aujourd’hui être aisément saisissable dans sa traduction en binaire. Un texte n’est qu’un instantané littéraire d’une perception du réel, une transcription qui donne forme subjective à un phénomène objectif, et qui trouvera une résonance particulière dans les différents récepteurs de celle-ci. L’information subjective s’offre à la multiplication des interprétations, des subjectivités. Envisager le texte dans sa version numérique met en évidence cette essence dynamique, la récursivité subjective de l’information. Quelle que soit la langue qui permet d’exprimer une perspective au travers d’un texte, son affichage informatique ne se compose au premier abord que d’une accumulation substantielle du *chiffre*. Dans cette vision stroboscopique de la traduction binaire d’un texte, dans cette suite versatile de 0 et de 1, existe une identité de la graphie, et cette bipolarité numérique exprime, malgré le morcèlement de nos langues, une communauté symbolique de l’information. C’est cette substance qui doit être sondée, et par la fission des graphies, une *excavation* de la moelle informationnelle dissimulée dans le texte fait place au devenir de notre appréhension humaine du réel. Il n’y a pas d’objectivité par le langage, mais un agglomérat d’interprétations. Éroder l’illusion graphique de nos littératures qui se veulent objectives aide à se placer au plus près de l’essence mouvante de l’information, et d’y inscrire nos interprétations en parallèle de cette dynamique naturelle. Il serait même envisageable dans une compréhension instantanée de l’information de se défaire de la temporalité du texte, de sa *trame* qui se découvre au fil de la lecture. Tel un pictogramme dont la signification est perceptible presque immédiatement, le déplacement de l’esprit humain vers l’information brute du texte présage une croissance de sa capacité interprétative, d’une multiplication des perspectives sur son monde. Cette multiplication souhaitée comme une sagesse future de l’humain trouve une source possible dans la dimension numérique de notre époque. La littérature numérique expose sous différents angles la *trame* du texte, et lui accorde des temporalités différentes. C’est par la multiplication des médias que s’annonce la division des surfaces, comme si le *multi-média* était une voie vers l’unité plurielle de l’information --- il faut entendre cette expression paradoxale comme l’affirmation de l’information en tant que substance dynamique, mouvante, dont la perception par chaque entité perceptive, qu’il soit question d’un être humain ou d’un robot, un *webbot* par exemple, diffère et pourtant rejoint l’unité de la dynamique informationnelle. Il s’agit là de l’apparition d’une cybernétique littéraire, d’une disparition des entités comme le texte lu, le lecteur du texte lu, le moyen de découverte du texte lu, etc., pour une mise en avant de la circulation de l’information littéraire du texte entre ces entités. C’est le foisonnement de cette circulation qui est la clef de la révolution numérique. Dans cette construction d’une nouvelle ère de l’information circulante, la perception de la *multidimensionnalité* du texte par la puissance numérique est une première étape dans la recherche d’une traversée vers une société cybernétique. La fluidité harmonieuse d’une information libre favoriserait l’avènement d’une réelle démocratie animée par la justice sociale. Poindrait en elle une politique des communs, à la condition essentielle de cette liberté de l’information --- mais notre époque des petits avoirs et des grands commerces la menace. Le combat s’annonce, et comme nous l’a appris l’histoire, la littérature est l’étincelle qui embrase la société, alors dans cette lutte où les propriétaires dominent, où la liberté semble si précaire, il faut faire feu littéraire, offrir aux multiples dimensions du texte leur indépendance, pirater les normes numériques pour instaurer une idée : l’autonomie créatrice. - La source : https://www.abrupt.ch/cyberpoetique/excav.txt - Ce texte est dédié au domaine public (CC 0) : https://www.abrupt.ch/partage - ABRÜPT : https://www.abrupt.ch